La psychanalyste France Shott-Billmann essaye de répondre à de nombreuses interrogations sur le mystère du féminin, en conjuguant les apports de la mythologie, de l’art et de la psychanalyste dans un ouvrage qui lui est consacré »Le féminin et l’amour de l’autre « . Extraits choisis autour de Marie-Madeleine.
Qui est Madeleine, la pécheresse de l’Evangile, qui vécut en Galilée il y a vingt siècles ?
« Marie-Madeleine est une femme multiple et contrastée : d’après la tradition, une riche bourgeoise, prénommée Marie (on dit aussi Myriam), sœur de Lazare et de Marthe, qui avait une propriété en Galilée, à Magdala, d’où elle reçut le surnom de Madeleine ; une pécheresse aux longs cheveux qui, toute en pleurs, avait pris la liberté de répandre un parfum précieux sur la tête et les pieds de Jésus (pieds qu’elle arrosait de ses larmes) lors d’un dîner qu’il prenait dans la maison de Simon le pharisien ; une ex-malade possédée par sept démons et que Jésus avait guérie par sa parole ; une disciple fidèle qui le suivit sur les routes de Galilée jusqu’à sa mort ; une des femmes qui assistèrent à la crucifixion le vendredi saint ; une femme aimante endeuillée qui porta des aromates pour oindre le corps de Jésus dans le sépulcre et ne le trouva pas ; celle qui fut la première de tous les disciples à « avoir vu le Seigneur » après sa mort, le premier témoin de la résurrection.
« Marie-Madeleine incarne tous les aspects de la femme, du plus charnel au plus spirituel. Elle condense plusieurs figures : Marie de Magdala, alias Madeleine, Marie la pécheresse et Marie de Béthanie. Bien que certains exégètes aient considéré qu’il s’agit de trois femmes différentes, il est plus convaincant de suivre des docteurs de l’Eglise comme Saint Augustin, Saint Grégoire le Grand, saint Thomas d’Aquin, qui considèrent que les trois Marie n’en représentent qu’une seule surnommée Madeleine, en qui se réunissent plusieurs aspects : pécheresse, possédée, pure, contemplative, compagne du Christ, mystique faisant des miracles.
Dans l’Evangile de Philippe, elle est présentée, à l’instar des déesses de la religion précédente, comme la compagne (koinonos) du Christ, mais aussi comme sa mère et sa sœur :
« Trois marchaient toujours avec le Seigneur.
Marie sa mère, et la sœur de celle-ci et
Myriam de Magdala que l’on nomme sa compagne,
Car Myriam est sa sœur, sa mère et sa compagne »[1]
Comme les Déesses antiques, Marie-Madeleine ne représente donc pas une femme unique auprès de son compagnon, mais toutes les femmes, dans toutes les situations d’amour : amour maternel, amour fraternel, amour pour un homme. Marie-Madeleine est un archétype. Elle représente la Femme, le féminin, dans la femme mais aussi dans l’homme. Les Grecs, comme toujours, l’avaient déjà compris : le mythe d’Eros et Psyché raconte comment Psyché (l’âme en grec) est une femme amoureuse d’un dieu (pas n’importe lequel, Eros, le dieu de l’amour. L’histoire de Marie-Madeleine et Jésus pourrait représenter d’une autre façon, l’évolution de ce désir de l’ « âme » humaine (le psychisme) de s’unir à l’Autre : la vie de Madeleine illustre le destin de la pulsion mystique.
L’écoute rêveuse
Madeleine était, dit Saint Augustin, « toute pénétrée des douceurs de la contemplation ». Son destin, à la différence de Marie mère du Christ, n’est pas la maternité, mais la mystique. Sans enfant ni charge matérielle, elle n’est pas non plus une femme au foyer comme sa sœur Marthe qui, lorsqu’elles reçoivent Jésus dans leur maison de Béthanie, s’affaire pour traiter dignement leur hôte, vaque, s’active, finit par s’énerver que Madeleine ne l’aide pas mais reste assise aux pieds de Jésus, buvant ses paroles. Marthe finit par demander à Jésus d’intervenir, mais celui-ci se prononce aussitôt en faveur de Madeleine : « Marie a choisi la bonne part, qui ne lui sera point ôtée ». (Luc 10, 38-42). Alors que Marthe pense à nourrir le corps de Jésus, Madeleine se remplit de ses paroles. Elle veut être disponible. Silencieuse, réceptive, elle l’écoute ; le regarde parler ; le contemple ; le « rêve » comme la mère qui, selon le psychanalyste Robert Bion, rêve son enfant, c’est-à-dire laisse venir en elle les images de son devenir (l’écoute flottante en psychanalyse est de cet ordre « rêveur »).
Peut-être Madeleine sait-elle d’avance ce qui va arriver, peut-être est-elle déjà secrètement avertie de leur séparation comme l’étaient les déesses antiques (Isis, Aphrodite, Cybèle, Ishtar…) par rapport au dieu disparaissant dans les Ténèbres des Enfers (Osiris, Adonis, Attis, Tammouz…. C’est cette vision anticipée de l’avenir qui lui permettra de « reconnaître » Jésus à travers l’image du jardinier.
Car lorsqu’il retourne plus tard à Béthanie, le vendredi avant Pâques, et dîne avec ses disciples dans la maison de Simon le Lépreux, c’est dans le sens d’une prémonition qu’il interprète le geste de Madeleine : elle apporte une boîte d’albâtre pleine d’une liqueur de parfum de vrai nard, elle casse le récipient et répand le précieux contenu sur la tête de Jésus, puis elle en oint ses pieds qu’elle essuie de ses cheveux. Judas, qui est du festin, proteste contre ce gaspillage, arguant qu’avec le prix de ce parfum on aurait pu faire du bien aux pauvres . On connaît la réponse de Jésus : « des pauvres vous en aurez toujours, au lieu que moi vous ne m’aurez pas toujours. Elle a prévu dans cette onction les cérémonies de ma sépulture[1] ». Il a compris ce qu’elle annonce en versant sur son corps ce parfum coûteux : il l’interprète comme une allusion à sa mort prochaine : n’est-ce pas le mort qu’on embaume ?
[1] Jean12, 1-8.
[1] LELOUP Jean-Yves (traduit et commenté par), l’Evangile de Philippe, Albin Michel Spiritualités vivantes, 2003. 59, 6-11 (traduction Ménard p. 62-63),.